CIM

Le Comité International de Mauthausen (C.I.M.) est né d’un réseau international de résistance et de solidarité qui a vu jour au camp de Mauthausen en 1944. Les membres de ce Comité ont participé à la libération du camp en mai 1945 au moment de l’arrivée des Américains. Cette organisation internationale s’est prolongée en entretenant la solidarité entre les survivants et en organisant tous les ans les cérémonies internationales de commémoration de la libération du camp.

Aujourd’hui le Comité International a son siège en Autriche, il est composé de membres venus d’une vingtaine de pays européens. Le président en est actuellement Guy Dockendorf (Luxembourg).

La France a toujours été active au sein de C.I.M. depuis son origine, Bob Sheppard en a été le président à la fin des années 1960 et Serge Choumoff a marqué le Comité au poste de vice-président jusqu’à sa disparition (cf. infra à ce sujet l’article de Michelle Rousseau-Rambaud : Le Comité International de Mauthausen : l’unité dans la diversité et bulletin n°314-315, décembre 2008, p. 19-21).

Le C.I.M. souhaite entretenir la solidarité internationale née dans le camp, il organise, au mois de mai, les cérémonies internationales qui regroupent tous les ans plusieurs milliers de personnes venues de toute l’Europe pour célébrer la libération du camp le 5 mai 1945. Il œuvre également pour la transmission de la mémoire de la déportation auprès des jeunes et assure la publication d’ouvrages sur l’histoire et la mémoire de la déportation.

► consulter le site du C.I.M.


À l’occasion du 42ème congrès de l’Amicale à Luxembourg en 2008, Michelle Rousseau-Rambaud – présidente de l’Amicale de Mauthausen de 2001 à 2007 et, depuis, vice-présidente, membre du conseil des sages, membre du conseil d’administration – s’est interrogée sur la naissance, symbolique, l’évolution du Comité International de Mauthausen ainsi que sur le rôle de ce dernier dans la pérennisation de la mémoire internationale de Mauthausen.

Le Comité international de Mauthausen : l’unité dans la diversité

L’Amicale française, en tenant son 42ème Congrès dans un pays européen voisin, ami de longue date, dépositaire également de la mémoire de Mauthausen, dépasse le caractère national de son identité pour le resituer dans une construction mémorielle plus large, plus ouverte, celle de la mémoire internationale de Mauthausen. Les chercheurs vont nous permettre de mieux comprendre les liens complexes entre mémoires nationales et internationales. Pour ma part, je vais vous présenter une étude de cas qui offre toute la problématique de ce thème.

Le Comité International de Mauthausen : je me propose d’évoquer sa naissance, sa symbolique, son évolution pas évidente à maîtriser, mais au bout du compte sa force, sa fidélité aux idéaux dont il est le garant. Au travers de mes propos, se dégageront les questions qui nous intéressent dans ce débat : existe-il une mémoire internationale de Mauthausen ? quel est le rôle du CIM dans sa pérennisation ?

L’Amicale française est membre du CIM depuis sa création. Trois d’entre nous y siégeons : le Luxembourg comme la France ont laissé le souvenir de grands présidents : Messieurs Joe Hammelman, Bob Sheppard et le Professeur Gilbert Dreyfus, premier président de cette structure née du martyre. La figure d’Émile Valley est présente au travers des décennies, très populaire, d’une activité redoutable.

Revenons donc à cette année 1945. Le terrain d’où sortirait le CIM était déjà mûr. Les comités nationaux de Résistance clandestine s’étaient organisés pour participer debout à la libération du camp. Un comité International clandestin de libération du camp existait : le docteur Heinz Durmayer en étant le président. Le serment de Mauthausen lu le 16 mai 1945 sur la Place d’Appel, devenu notre texte de référence, était déjà une adresse commune préparée par chaque pays séparément, le texte final ayant fait l’objet d’ajustements très politiques parfois douloureux (exemple : suppression de l’allusion au Général de Gaulle ou des louanges trop marquées au grand peuple russe). Déjà chaque peuple encore sous le choc, sans renier ni sa sensibilité ni son histoire, rejoignait ses frères de misère pour saluer l’avènement du monde libre.

Il faudra attendre huit années, jusqu’au 9 mai 1953, pour que soit créé officiellement le Comité international des Anciens de Mauthausen, devenu le Comité international de Mauthausen. Nous devinons le sens inéluctable de cette simplification de l’intitulé, comment un élargissement peut être à la fois enrichissement et source de difficulté.

Les textes d’archives des orateurs, pères fondateurs du CIM, sont construits autour de quelques grandes idées forces exprimant une authentique unité de vues. Le CIM, c’est d’abord une communion dans le partage presque privilégié de souvenirs communs : le vent, le froid, la faim, la barbarie, la peur, la mort – une communion dans l’impensable et l’indicible pour le commun des mortels.

– c’est un acte de foi en la solidarité humaine, celle des petits gestes qui ont sauvé des vies ou simplement illuminé un moment d’une journée où il fallait tenir.

– c’est un cri de fraternité et d’espoir en la liberté du monde. Paul Tillard écrivait : « par-dessus les frontières, les anciens de Mauthausen se sont donnés la main ». Un grand souffle de lyrisme traverse les pages qui accompagnent la naissance du CIM.

– mais surtout l’objectif premier, c’est la poursuite du combat en faveur de la Paix, contre le fascisme, contre la renaissance du nazisme. C’est la concrétisation des dernières volontés des Déportés, un devoir sacré à l’égard des amis assassinés et à l’égard des alliés qui ont fait le sacrifice de leur vie pour libérer les peuples d’Europe de l’esclavage fasciste.

Cette idée sous-tend les interventions des délégués des différentes nations qui prennent un accent comme visionnaire, parfois un peu utopique. Quelques extraits : 
« pourquoi sommes nous réunis ?… certes pas pour faire de la politique… »
« Il n’y a pas une paix soviétique et une paix américaine, il y a la Paix tout court, qui doit mettre fin à tous les conflits armés… » (professeur Gilbert Dreyfus), ou encore cet autre extrait de l’appel de Saint-Poelten, le 9 mai 1953 : « fidèles au souvenir de nos camarades morts nous jurons, unis comme il y a 8 ans pour que jamais plus le monde ne connaisse les horreurs de la guerre et du fascisme, sous quelque forme que ce soit ».

Le CIM fut de tous les combats de l’après guerre :
participant à la conférence de Vienne, à la poursuite des criminels de guerre ;
– s’opposant à la renaissance du militarisme allemand et des organisations clandestines néonazies, à la réhabilitation dans la vie publique d’anciens nazis, aux accords de Bonn et de Paris ;
– s’impliquant dans des démarches longues, compliquées, dans des opérations de diplomatie ou de force pour œuvrer au retour des corps.

« Mais pour être une force invincible, il ne suffit pas de s’indigner ou de protester », constatait le professeur Dreyfus. Le CIM sent la nécessité d’une pratique de travail internationale. Il va se doter de statuts, d’un bureau (présidium), d’une structure, d’un règlement de fonctionnement, d’objectifs et de moyens d’action plus clairement définis.

Les statuts sont globalement ceux sur lesquels nous vivons aujourd’hui. Le CIM dans sa charte d’origine insiste sur l’unanimité requise dans les votes, sur la liaison constante à maintenir avec les pays membres, « afin de coordonner les activités des différentes associations nationales sur tous les points exigeant une action commune ».

Les identités nationales ne sont ni mêlées ni encore moins fondues dans une entité supranationale. Sans vouloir idéaliser le contexte de l’époque, disons qu’elles se sont retrouvées complétées dans une structure fédératrice pas toujours lisse mais qui se voulait garante du camp de Mauthausen et de ses principaux kommandos et qui a œuvré pendant des décennies.

Le contexte évolue

Sa force tenait, nous l’avons vu, à son homogénéité et à la légitimité (toutes identités confondues) de ses fondateurs, les Anciens de Mauthausen et des kommandos, dépositaires de son histoire dans leur chair. L’horloge biologique est inéluctable : les anciens se font de plus en plus rares. La seconde génération a trouvé une place diversement acceptée, parfois épaulée par ses aînés. Les descendants n’ont pas eu le temps de reprendre le témoin. Déjà, une sorte d’inflation fait qu’aujourd’hui on ne sait pas trop qui représente qui ou quoi – courtoisie et respect du voisin empêchent que l’on pose la question. Les personnes ne sont d’ailleurs pas en cause et puis chaque pays est libre de ses choix, des critères de sa représentativité.

S’ajoute à cela la nouvelle donnée géopolitique entraînée par la chute du mur de Berlin. L’éclatement de la délégation soviétique, que nous cernions sans toujours la suivre, en plusieurs délégations nationales d’Europe de l’Est, a suscité des interrogations pudiques : quelles sont leurs motivations, quelles peuvent-elles être, leurs repères sont-ils les nôtres ? Leur rapport à l’histoire de Mauthausen peut paraître flou, informatif, intellectuel. Partagent-ils nos objectifs prioritaires de lutte contre les dictatures ? Qu’attendent-ils de nous, de ce CIM qui matériellement est solidaire ? que représentent-ils vraiment ? à coup sûr eux-mêmes, citoyens, démocrates de bonne volonté…

En Autriche même, la position du CIM est difficile à tenir. Le combat n’est plus le même. Le climat politique évolue, la menace de l’extrême-droite semble moins pressante, vue de l’extérieur du moins. Ce qui fut le combat des années 2000 reste une suspicion permanente, légitime ou non à l’égard de la politique du gouvernement et de ses intentions sur le devenir des sites de mémoire. Le ministère de l’Intérieur est responsable de la sauvegarde de ces lieux. Des centres de visiteurs se construisent. On crée des événements médiatiques, on forme des enseignants, une structure de proposition : le Forum, concurrence le CIM, qui s’est installé dans une stratégie de non-coopération, bien que le gouvernement finance la cérémonie internationale. Tout ceci crée des turbulences car les non-Autrichiens que nous sommes en situent mal l’impact à long terme.

Mais l’on ne pouvait pas s’attendre à ce qu’une création comme le CIM reste statique, au fil des décennies. La seule vraie question nous ramène à l’essentiel : le cosmopolitisme forcé a-t-il résisté et résiste-t-il à la libération du camp ? Oui. Le fonctionnement volontariste de cette énorme structure qu’est le CIM n’a pas failli depuis 55 ans malgré les soubresauts de la politique dans nos pays, malgré la disparition de trop d’amis déportés. Je voudrais rendre un immense hommage aux équipes passées et présentes qui s’impliquent, travaillent, prennent des coups, font leur maximum pour satisfaire chaque pays. La relève se prend, vaille que vaille. Les attentes, les méthodes de travail des délégations sont plus difficiles à concilier, les vérités s’affrontent, les moyens économiques sont inégaux et deviennent un souci, bref, les discussions sont moins immédiatement consensuelles, même si l’amitié qui nous lie empêche les débordements discourtois. Ce qui soudait les anciens membres du Comité était plus fort que leur opposition. Le danger peut exister un jour avec les nouvelles générations. Mais nous n’en sommes pas là. Au travers des rencontres le CIM contribue à une connaissance, une reconnaissance des uns et des autres. Cela implique des devoirs pour chaque pays, une présence assumée, constructive, critique, mais pas négative, manifestations d’un désir de travail en commun – gages d’une vigilance et d’un respect de l’héritage spirituel que nous avons recueilli et que nous protégeons tous ensemble et séparément : Mauthausen, son histoire, son présent, son devenir.

Le cosmopolitisme est bien sensible dans son objectif fondamental. Cela prend la forme de gestes partagés, je ne parlerai pas d’unité mais de synergie. Cela donne une force qui se concrétise lors de la cérémonie annuelle commémorative de la Libération du camp. Face à cette manifestation aux allures d’un spectacle coloré, parfois dérangeant, n’oublions pas que c’est d’abord une commémoration supranationale contre le fascisme et tous les totalitarismes. Ce dénominateur commun ou plutôt cette chaîne nous reliant aux idéaux de 1945… c’est cela la lisibilité du CIM : un hommage rendu aux pays martyrs qui affichent fièrement leur identité sous leur drapeau ; une leçon lucide, responsable : la mémoire de Mauthausen restera vivante, humaine ou se repliera au mieux dans les livres d’histoire.

Le CIM a ses inerties, ses problèmes comme toute structure humaine mais il veille, fait parler les lieux, le lieu. Pour saluer son œuvre, il n’est que d’y participer, mieux, d’y militer en étant conscient que le véritable combat actuel est de pérenniser l’esprit des valeurs fondatrices.

Aucune administration, si ouverte soit-elle, ne remplacera la transmission de cet espoir né dans la souffrance commune puis dans le souffle de la liberté retrouvée. Le CIM doit rester cette incarnation. 

J’aimerais terminer sur une pensée de l’écrivain journaliste Daniel Rondeau (Le monde entre ses mots – « JDD » du 20 avril 2008), qui pourrait s’inscrire en lettres d’or au fronton virtuel du CIM : « L’identité et la mémoire ne doivent pas être des prisons mais des solidarités premières ».

Michelle Rousseau-Rambaud