Adeline Lee, Les Français de Mauthausen

Dans son introduction, l’historienne justifie le cadrage de sa recherche de doctorat sur le camp de Mauthausen : Pourquoi Mauthausen ? L’ouverture en août 1938, en Autriche, juste après l’Anschluβ de ce qui allait prendre l’aspect d’une forteresse granitique – seule de ce type dans la géographie des camps – sur la rive gauche du Danube, à une vingtaine de kilomètres en aval de Linz, marque la première étape du réseau concentrationnaire nazi dans les territoires annexés par le Reich allemand. Il s’agit indubitablement d’une circonstance historique importante – elle instaure du même coup la prédation internationale du système concentrationnaire nazi, ce dernier devenant immédiatement un outil majeur de la répression exercée au sein des peuples conquis. Mais l’événement a constitué, dans la démarche dont rend compte ce livre, une coïncidence à forte valeur symbolique, pas davantage.

Le choix de Mauthausen dans mes recherches a été déterminé par la place particulière que ce camp occupe dans le système concentrationnaire nazi. La classification des camps, élaborée par Heydrich dans un texte du 2 janvier 1941, en fait le seul KL destiné à recevoir des détenus placés dans la catégorie III, et par là même une pièce maîtresse du système répressif nazi. L’évaluation du degré de dangerosité des détenus pour l’état allemand aboutissait à leur classement dans l’une des trois catégories de Schutzhaft (détention de protection), permettant l’internement en KL sans jugement préalable. Les Schutzhäftlinge III, considérés comme « non rééducables » aux yeux des nazis, devaient être envoyés vers le seul camp de cette catégorie, Mauthausen. Si les témoins, qu’ils aient été ou non déportés à Mauthausen en raison de son statut de camp III, font état de cet aspect essentiel, les historiens mentionnent également ce statut particulier, s’empressant généralement d’ajouter que cette classification n’eut pas d’application concrète, s’appuyant sur une « réalité concentrationnaire » dont il n’est pourtant nullement question dans le décret Heydrich. Cette lecture à rebours occulte l’aspect fondamental du texte, qui mentionne que la classification se fait non en fonction des conditions de détention au sein du KL auquel on destine le détenu mais en fonction de sa « personnalité », et l’étude des processus de déportation depuis la France occupée vers Mauthausen que nous allons mener vient d’ailleurs contredire l’idée d’un décret resté lettre morte. Cet aspect – mais ce n’est pas le seul – met en exergue l’intérêt d’associer l’étude des politiques répressives, des processus de déportation et des parcours concentrationnaires. La classification des KL, pour essentielle qu’elle soit, ne constitue pas pour autant le cadre en vertu duquel la majorité des Français sont envoyés vers le camp autrichien.

Aux côtés de la fonction politico-pénale des camps, constituant la vision dominante au sein du RSHA, et en premier lieu de son chef Reinhard Heydrich, la perception des KL comme un vivier de main-d’œuvre corvéable à merci qui était celle du SS-Gruppenführer Oswald Pohl, chef du SS-WVHA, ne cessa d’étendre son emprise au sein de la Reichsleitung-SS à mesure de l’enlisement des troupes de la Wehrmacht sur le front russe. Si cette deuxième fonction explique pourquoi d’autres que des détenus considérés comme particulièrement dangereux furent dirigés vers Mauthausen, ce fait ne doit pas pour autant occulter la première fonction de camp de catégorie III qui, bien que ne constituant pas le facteur explicatif de l’entrée de la majorité des détenus, n’en demeure pas moins significativement présente jusque dans les derniers mois de la guerre.

À cette spécificité de Mauthausen, à son rôle en particulier dans l’économie de guerre du Reich, étudié par Michel Fabréguet, s’ajoute une troisième caractéristique, géographique cette fois, qui en fait un lieu privilégié pour l’évacuation de détenus durant les derniers mois de la guerre. Sa localisation, qui le place un temps hors de portée des bombardements ennemis et en fait le camp le plus éloigné des fronts, explique le choix d’y évacuer nombre de détenus, essentiellement en 1945.

Ce sont ces trois caractéristiques, lesquelles s’interpénètrent fréquemment, qui font de Mauthausen un camp à part au sein du système et justifient le choix d’en faire un objet d’étude.

ANNULATIONS POUR CAUSE DE SITUATION SANITAIRE

Le Conseil d’administration de l’Amicale de Mauthausen, réuni le 19 septembre, a constaté l’impossibilité de maintenir les deux rendez-vous suivants :
• du 24 au 28 octobre, le voyage à Mauthausen et sur plusieurs sites du camp.
• les 21 et 22 novembre, le congrès que l’Amicale devait tenir à Lyon. De son côté, le Comité international de Mauthausen a annulé sa venue à Lyon aux mêmes dates.

L’Union des associations de mémoire des camps nazis a décidé, le 5 octobre, d’annuler cette année ses contributions aux Rendez-vous de l’Histoire de Blois : la Table ronde, qui devait se tenir le 9, et la participation au Salon du livre, sur la durée de l’événement.

LE CAMP DE JUDES, À SEPTFONDS (TARN-ET-GARONNE)

Dans la paisible campagne du Quercy caussadais, à une trentaine de kilomètres au nord-est de Montauban, le petit village de Septfonds, autrefois célèbre pour ses fabriques de chapeaux, a mis en pratique le devoir de mémoire en rappelant l’existence, sur sa commune, d’un lieu tristement célèbre, des années 1938 à 1945, le Camp de Judes.

La création de ce camp date du 27 février 1939 : la guerre civile en Espagne se termine avec la déroute des Républicains devant l’armée de Franco, par la prise de Barcelone. Depuis 1936, fuyant devant les Franquistes, des Espagnols avaient déjà passé la frontière pour se réfugier en France. Mais la chute de la capitale catalane, le 26 janvier 1939, entraîne un véritable exode : près de 500.000 personnes, militaires et surtout civils, franchissent les Pyrénées. C’est la Retirada. Le passage de la frontière se fait dans des conditions particulièrement pénibles : les populations sont affaiblies par trois ans de combats et de privations, les cols sont enneigés, l’aviation franquiste bombarde les réfugiés sur les routes catalanes. Civils et militaires sont le plus souvent partis précipitamment, avec peu d’affaires, et ils arrivent en France dans le dénuement le plus complet.

En France, le 28 janvier, le gouvernement Daladier décide d’ouvrir la frontière aux civils et le 5 février aux militaires. Pour héberger tous ces réfugiés, des camps sont bâtis à la hâte à Argelès-sur-Mer (87.000 personnes en mars 1939), au Barcarès, à Saint-Cyprien, sur le sable des plages, par les réfugiés eux-mêmes. Ces camps, que les autorités françaises appellent des « camps de concentration », pour les différencier des camps pénitentiaires, n’offrent que des conditions précaires de survie. Face à leur surpeuplement, d’autres camps sont ouverts au Vernet d’Ariège, à Septfonds, à Rieucros, à Gurs, à Bram et à Agde.

Le 20 mars 1939, 16.000 Espagnols sont internés à Septfonds. Ils sont arrivés à la petite gare de Borredon, pour éviter qu’ils ne traversent à pied la ville de Caussade. Quelques-uns d’entre aux acceptent d’être rapatriés en Espagne ; d’autres émigrent au Mexique. En avril 1939, le gouvernement français crée les Compagnies de Travailleurs Étrangers : des milliers d’Espagnols, des hommes de 20 à 48 ans, participent à des travaux d’intérêt public. D’autres aident aux travaux agricoles, pour remplacer les Français mobilisés à partir du 1er septembre 1939, début de la deuxième guerre mondiale. Il leur est aussi proposé de s’engager dans la Légion Étrangère ou dans les Régiments de Marche des Volontaires Étrangers… C’est au recrutement pour ces régiments qu’une partie du camp est destiné : environ 800 réfugiés de l’armée de l’air polonaise y sont instruits, avant de rejoindre Lyon-Bron, pas encore envahi par les Allemands.

Après la signature de l’Armistice et jusqu’à l’été 1942, le camp de Judes devient un Centre de triage et d’hébergement pour les étrangers en surnombre, puis un Centre de rassemblement pour individus dangereux. Le 24 août 1942, 84 internés juifs sont embarqués dans un wagon à destination d’Auschwitz, via Drancy. Il en est de même dans la nuit du 2 au 3 septembre, pour 211 Juifs. En mars 1943, on ne compte plus que 70 Israélites dans le camp, au sein d’un Groupe de Travailleurs Étrangers qui subsiste jusqu’à la Libération.

Après la Libération, le camp de Judes est utilisé pour l’internement de Français accusés de collaboration avec les Allemands.

Il est définitivement fermé en mai 1945.

Aujourd’hui, plus de quatre-vingts ans après la Retirada, de nombreux Espagnols, anciens réfugiés, sont toujours installés dans les régions françaises, notamment dans le Sud-Ouest. Leurs enfants et petits-enfants se chargent d’entretenir la mémoire de ceux qui, à leurs yeux, ont lutté jusqu’à la mort pour un idéal humaniste.

L’association La Mounière – Maison des Mémoires de Septfonds – septfonds-la-mouniere.com – a pris en charge l’édification d’un lieu du souvenir, situé à Lalande. Le camp a été démoli et une exploitation agricole s’y est installée, créant une polémique en 2018, lors de l’extension d’une porcherie industrielle.

La visite s’organise autour du réservoir d’eau potable, seul témoin de l’existence du camp, classé monument historique. Un très intéressant tableau chronologique permet de suivre l’évolution du camp en rapport avec le déroulement de la deuxième guerre mondiale. Un monument en granit a été érigé,

À la mémoire de tous les internés et déportés,
Armée républicaine espagnole,
Armée polonaise,
Internés politiques,
Internés et déportés juifs,
Hommes, Femmes et Enfants,
Que le souvenir demeure à jamais,
Passant, n’oublie pas.

Une photo et un plan d’époque, ainsi que d’autres documents sont exposés dans une baraque en provenance du camp. C’est ainsi que figure une liste de neuf Espagnols déportés au début de 1941 à Mauthausen, puis à Gusen :


>> liste de neuf Espagnols déportés à Mauthausen et décédés à Gusen

Des lieux en relation avec le camp de Judes ont été identifiés dans le territoire de la commune de Septfonds. Parmi ceux-ci, se trouve le très émouvant cimetière espagnol, situé au sud de la commune, à plusieurs kilomètres du camp. Réhabilité en 1978 par Cesareo Bustos, réfugié espagnol revenu de Mauthausen, il est parfaitement entretenu. Le visiteur est accueilli par un poème de Rafael Alberti, en espagnol et en français. Une allée d’arbres mène à une colonne monumentale, derrière laquelle sont alignées 81 tombes de soldats républicains, décédés au camp de Judes ou dans l’hôpital qui avait été aménagé dans le bourg.


Le cimetière des Espagnols à Septfonds

Jean-Pierre Volatron, août 2020

Sources :
Souvenirs familiaux
fr.wikipedia.org/wiki/Camp_de_Septfonds

Et on n’oublie pas : « LE CORPS DU DÉPORTÉ, ICÔNE TRAGIQUE DU XXe SIÈCLE »

Agnès Triebel (Buchenwald) et Daniel Simon (Mauthausen), concepteurs de la journée, ont accueilli 12 contributeurs, militants de nos associations ou historiens d’art. On lira dans le prochain bulletin de l’Amicale (à paraître courant janvier) un compte-rendu assez précis du tour d’horizon effectué – auquel naturellement il manque les représentations visuelles présentées et analysées, de même que les fragments de représentations textuelles, puisés dans des récits d’écrivains déportés ou non et qui ont entrecoupé les analyses.

Vous trouverez dès à présent sur Vimeo un ensemble de vidéos chapitrées du déroulé de la journée, dont le montage a été réalisé par Bernard Obermosser.
Pour y accéder, un mot de passe vous sera demandé : vous l’obtiendrez en téléphonant à l’Amicale de Mauthausen (01.43.26.54.51).

Première partie : Visées

1.2 Les monuments de la déportation au Père-Lachaise (Yvonne Cossu)
1.3 Les monuments de Fritz Cremer (Dominique Durand)
1.4 Les monuments de Mauthausen (Daniel Simon)
1.5 Le premier répertoire des représentations (Caroline Ulmann)
1.6 Le monument du Vel’d’Hiv (Agnès Triebel)

Deuxième partie : Images à vif

2.1 Les dessins de Thomas Geve (Agnès Triebel)
2.2 Les dessins de Jeannette L’Herminier (Aurélie Cousin)
2.3 Les médailles clandestines de Buchenwald (Gisèle Provost)
2.4 Les dessins de Walter Spitzer (Agnès Triebel)

Troisième partie : Gestes d’artistes

3.1 Dans l’atelier de Walter Spitzer : le film
3.2 Ceija Stojka : vers une disparition, vers une absence (Sylvie Ledizet)
3.3 Les images intérieures d’Edith Kiss (Marie Janot)
3.4 Représentations et cheminements de la mémoire :
Zoran Mušič, Miklos Bokor, Jean-Marc Cerino
(Anne Bernou)

LE TROISIÈME MONUMENT

  • ◊ Après le premier monument – le monument français de Mauthausen –, le premier construit en Autriche (1949) sur l’une des terrasses où se trouvait le cantonnement SS (ces terrasses sont aujourd’hui occupées par l’ensemble des monuments nationaux) ;
  • ◊ cinquante ans après le deuxième monument, celui du cimetière du Père-Lachaise à Paris construit en 1958 ;
  • ◊ le troisième monument est un monument immatériel ; pour autant, ce site Internet constitue un authentique mémorial ainsi qu’un outil de recherche sur les Françaises et Français déportés à Mauthausen :
    – 9.500 fiches individuelles de déportés,
    – de nombreux articles d’historiens sur les convois et Kommandos,
    – et bien d’autres à venir.

>> Pour toute précision ou demande d’information,
nous vous invitons à contacter le secrétariat de l’Amicale

bulletin n°355

| JANVIER 2019 |

  • À la une : Parmi les mille et une raisons de notre présence à Mauthausen, celles du 5 mai 2019 (lire p. 2 & 17) – Notre dernière publication : Anthologie. Témoignages de déportés français et espagnols au camp de Mauthausen (lire p. 25) – Nos rendez-vous
  • Éditorial : 2019 Daniel SIMON (p. 2)
  • Paris, 17 novembre Claude SIMON (p. 3)
  • Visite du Mémorial des Martyrs de la déportation, île de la Cité, ParisLeïla SIMON (p. 4)
  • L’assemblée générale (p. 4-5) :
    • rapport d’activité Caroline ULMANN (p. 5-7)
    • rapport moral Daniel SIMON (p. 7-10)
    • rapport financier Jacques LECOUTRE et Frédéric SCHOTT (p. 10-12)
    • une motion à diffuser largement : Mauthausen : non à la dénaturation des sites de mémoire (p. 13)
  • Activités internationales dans une situation politique difficile en Autriche et en Europe Daniel SIMON (p. 14-15)
  • Dans la presse autrichienneOskar WEIHS (p. 16)
  • Mai 2019 à Mauthausen et camps annexes : bulletin d’inscription (p. 17)
  • Nos trois rendez-vous du 16 mars – Loibl Pass, juin 2019 (p. 18)
  • Actualisation mensuelle du site de l’Amicale (p. 18)
  • Le voyage d’octobre Laurent MEYER et Chantal LAFAURIE (p.18-20)
  • Le regard d’une lauréate du CNRD, Camille SAADE, élève de 3ème au collège d’Uzerche (p. 20)
  • L’Amicale accueille à Mauthausen Daniel SIMON (p. 21)
  • Visite à Mauthausen et Hartheim d’une délégation du 1er bataillon de Saint-Cyr Colonel Thibaud THOMAS commandant le 1er bataillon de France (p. 21-22)
  • Georges Loustaunau-Lacau : lequel ? Daniel SIMON (p. 22-23)
  • À Ligny-en-Barrois (Meuse), le monument des déportés saccagé (p. 23)
  • Sépultures et mémoriaux (p. 24)
  • L’Interamicale aux journées de Blois 2018 (p. 24)
  • Événement : une nouvelle publication de l’Amicale : Anthologie. Témoignages de déportés français et espagnols au camp de Mauthausen – Sylvie LEDIZET et Laurent MEYER (p. 25)
  • Livres, film, expo (p. 26-29)
  • L’humanisme en question ? Daniel SIMON, après échanges avec Laurent MEYER (p. 30-31)
  • Procès tardifs Laurent MEYER (p. 32) :
    • Hans Werner H, un ancien gardien du camp de Mauthausen mis en accusation en Allemagne
    • Johann Rehbogen, un ancien garde SS du camp de Stutthof jugé à Munster
  • Mémoire du père Jacques (Lucien Bunel) (p. 32)
  • Dans la presse des associations (p. 32-33)
  • Mauthausen dans la presse espagnole Pierrette SAEZ (p. 33-34)
  • Carnet de l’Amicale Ildiko PUSZTAÏ (p. 35)
  • Histoires : Une bonne nouvelle Georges LOUSTAUNAU-LACAU, Chiens maudits. Souvenirs d’un rescapé des bagnes hitlériens (p. 36)

Des traces et des gestes, Mémoires européennes des camps nazis

Documentaire de 52 minutes de Bernard Obermosser et Jean-Louis Roussel,
une production de l’Amicale française de Mauthausen,
janvier 2018

Plus de 70 ans après leur libération, les sites des anciens camps nazis ne sont pas déserts : les visiteurs y sont nombreux, les rendez-vous commémoratifs sont empreints d’une étonnante énergie. Ce deuxième âge de la mémoire n’est pas réductible à une forme inattendue de tourisme.

Ce film, qui n’est pas un recueil de témoignages sur la déportation, propose d’entendre quelques acteurs de ces pratiques, parmi les plus impliqués. Décodant les rituels officiels et les pratiques inventives qui émergent, il s’attache à repérer les gestes sociaux, à formuler du sens. Contribuant certes au souvenir du passé, mais surtout observant le présent. Qu’on en ait clairement conscience ou non, les sites concentrationnaires nazis sont désormais inscrits dans l’espace culturel de notre continent.

L’observation porte principalement sur l’ancien camp de Mauthausen, en relation constante avec ce qui s’accomplit en d’autres lieux, Buchenwald, Ravensbrück, Natzweiler-Struthof, Auschwitz.

Vous pouvez également retrouver l’ensemble des précédentes vidéos de l’Amicale…
>> ICI

66ème anniversaire (voyage)

Voyage du 66ème anniversaire de la libération : un réseau contre la terreur et pour l’humanité

Christian RAINER est un journaliste autrichien, né en 1961 à Ebensee, rédacteur en chef et éditeur de Profil, magazine hebdomadaire d’investigation. Dans le discours commémoratif qu’il a prononcé le 7 mai dernier lors de la cérémonie internationale de la libération du kommando d’Ebensee 2011, il s’insurge contre ceux des politiques autrichiens qui ont préféré au « Ne jamais oublier ! » « l’oubli édicté«  (*).

Daniel SIMON, président de l’Amicale, a, quant à lui, dans son message lors de cette même cérémonie, tenu – tout en revenant sur l’agression néonazie de 2009 et ses suites – à rendre hommage à nos amis autrichiens, d’hier et d’aujourd’hui.

Vous retrouverez également, dans le bulletin n° 325 de juillet 2011, les temps forts des cérémonies du 66ème anniversaire de la libération du camp de concentration de Mauthausen et de ses kommandos :

• à l’occasion de la première participation de l’Amicale aux commémorations de Sankt Valentin, plus important centre de production de chars du IIIème Reich, doté d’un camp de concentration, présentation et historique de ce kommando par Patrice Lafaurie, ainsi qu’un extrait du message de l’Amicale prononcé par Daniel Simon ;

• extrait du discours au monument français et message prononcé sur la place d’appel de Mauthausen par Daniel Simon au nom de l’Amicale ;

• ouverture de la cérémonie à Melk par Aleander Hauer et extrait de l’allocution de Caroline Ulmann ;

• extraits de l’allocution de Hannah Lessing, secrétaire générale du Fonds autrichien d’indemnisation des victimes du national-socialisme, et du discours de Daniel Simon à Steyr.


« L’OUBLI ÉDICTÉ »

Très honorés survivants du camp de concentration d’Ebensee, très honorés parents et amis de survivants, Mesdames et Messieurs !

Je suis d’Ebensee. J’ai vécu ici depuis ma naissance jusqu’à 18 ans. C’est un hasard de l’histoire qui a fait de moi un journaliste. Quand l’ex-secrétaire général de l’ONU et officier des SA Kurt Waldheim a présenté sa candidature pour la fonction de président de la république, une colère indicible me prit en raison de ses mensonges et de son image de l’histoire autrichienne.

J’ai deux filles jumelles juives de huit ans. Lola et Noomi sont les filles d’une juive et petites-filles d’une Hongroise et d’un Roumain qui, à la dernière extrémité, ont pourtant survécu à l’holocauste et se retrouvèrent déplacés à Vienne à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Je suis moi-même le fils d’un lieutenant de l’armée allemande qui, entre 1941 et 1945, a combattu les Russes en Russie et les partisans en Italie. C’est en tout cas ce que l’on m’a raconté étant enfant. Et on me l’a répété il y a quelques semaines, lorsque l’on apprit – avec une certaine fierté – que je ferais ce discours aujourd’hui : l’on a vécu la guerre et perdu ses années de jeunesse pour une armée allemande anonyme, mais pas pour les nationaux-socialistes et pour Adolf Hitler comme j’essayais en vain de l’expliquer.

Ebensee. Enfants, parents. Mesdames et Messieurs : vous comprendrez que ce jour et cette allocution sont, pour moi, quelque chose de plus personnel qu’ils ne l’ont été pour d’autres orateurs au cours des commémorations de ces dernières années. Je vous remercie profondément de m’avoir invité à vous parler.

« Ne jamais oublier« . Ne jamais oublier, c’est la raison pour laquelle nous sommes rassemblés en ce lieu, la raison pour laquelle ce lieu de la mémoire existe au camp de concentration d’Ebensee. Ne jamais oublier, ce sont des mots grands. Ils portent en eux tout ce qui fait la différence de l’être humain : la capacité de se souvenir et de transmettre ces souvenirs à plusieurs générations et, par là-même, à travers les siècles. En même temps, « ne jamais oublier » renonce à toute pensée de vengeance pour l’injustice et les souffrances subies et à toute exigence explicite d’un acte qui pourrait faire suite au souvenir.

« Ne jamais oublier« , c’est l’appel silencieux au « bon » côté supposé exister dans l’être humain. C’est l’espérance que le souvenir de ce qui s’est passé puisse suffire à empêcher que l’histoire se répète : par exemple, la répétition de l’assassinat bestial de plus de 8.000 détenus ici, à Ebensee, et d’autres millions de personnes dans la mécanique de la mort des nationaux-socialistes, la mécanique de la mort de nos nationaux-socialistes.

Est-ce que ce « Ne jamais oublier » suffit ? Nous ne le savons pas. Mais il y a des raisons de poids d’en douter. D’une part, en effet, il y a une espèce d’ordonnance à l’action de la politique autrichienne qui est contre : la politique a ordonné d’oublier et ces directives sont sur le point de passer dans la mentalité du domaine public dans ce pays. Par ailleurs, nous pouvons nous poser la question si, à part ce lieu de la mémoire et d’autres, à part un petit noyau de personnes qui réfléchissent, quelque chose a vraiment jamais été rappelé, quelque chose qui maintenant pourrait être menacé d’oubli.

L’oubli édicté. Lorsqu’en l’an 2000, Wolfgang Schüssel forma, au nom de sa prétention au pouvoir, un gouvernement avec le parti libéral, il se passa des choses qui dépassèrent de loin les circonstances. Schüssel ne décréta rien de moins que d’effacer des livres l’histoire de l’Autriche des années entre 1938 et 1945. On appelait cela, sous des prétextes cousus de fil blanc, la fin de la marginalité.

En vérité, il s’agissait de la fin cachée de la condamnation de l’holocauste ; c’était l’interdiction de nommer le génocide, une interdiction de se souvenir. La feuille de vigne des négociations de restitution ne doit pas nous tromper.

Schüssel et, avec lui, le parti populaire et, avec eux, les élites du pays pardonnèrent aux politiciens et à leurs partisans et en firent des gouvernants égaux en droits. Avec cela, on n’excusait ou ne pardonnait pas quelque chose de passé, pas des erreurs de jeunesse ou l’aveu depuis longtemps périmé d’avoir suivi Adolf Hitler. Ces personnages ennoblis par le pouvoir politique n’étaient pas des réprouvés de jeunesse. C’étaient d’actifs « éternels d’hier », menteurs, banalisateurs, antisémites, racistes. Et leur image du monde devint une possibilité d’égalité des droits dans le spectre de l’opinion.

L’inclusion au lieu de l’exclusion exigeait donc un oubli actif des cruautés du national-socialisme qui avaient produit une vision du monde de ces personnes maintenant actives au gouvernement.

Mesdames et Messieurs : en l’an 2000, il fut donc indirectement interdit de célébrer la mémoire du KZ d’Ebensee car une partie des nouveaux acteurs de la politique intérieure ne voulaient pas devoir accepter la condamnation des évènements d’alors.
Décret d’oubli au lieu de ne jamais oublier.

Cela eut des conséquences désastreuses : le soi-disant livre tabou de l’an 2000 entraîna au cours des dix années écoulées l’indifférence envers la singularité de l’holocauste. Les home pages néonazies sont devenues des faits divers. Qu’un Allemand nationaliste ayant des opinions radicales de droite devienne président du parlement à Vienne ne touche plus personne. Le nouveau chef du parti libéral autrichien encore dans son milieu radical de droite nazie se prépare à conquérir la première place auprès des électeurs autrichiens. L’éternel d’hier est devenu officiellement bien vu dans les salons.

L’avertissement du souvenir qu’il représentait jusqu’à présent est oublié grâce à sa charge officielle. Il y a deux ans, j’ai écrit dans mon magazine que les agressions de cinq jeunes d’Ebensee lors de la commémoration dans le tunnel du camp étaient un tour de vauriens. Comprenez-moi bien : ces agressions envers des survivants du KZ étaient monstrueuses, elles étaient impardonnables. Mais comment des enfants entre 14 et 17 ans pourraient-ils reconnaître la portée de leurs actions, comment pourraient-ils, surtout, en comprendre la monstruosité idéologique alors que des vauriens nantis d’idéologies apparentées peuvent occuper dans ce pays les plus hauts postes dans les partis politiques, le parlement et au gouvernement ?

Il y a quelques années un éminent politicien, orateur en ce lieu, disait : « On peut constater qu’en Autriche il y a un large consentement, au-delà des partis, à condamner sans conditions les crimes du national-socialisme et aussi à faire des recherches.« 

Aujourd’hui, j’arrive moins que jamais à voir ce consentement.

Nous devons bien sur nous poser la question : comment est-il possible de ne plus penser l’impensable ? comment un pays peut-il oublier l’holocauste qu’il a contribué à causer et la participation à l’assassinat militarisé qu’a été la Deuxième Guerre mondiale ? pourquoi est-il suffisant qu’un habile politicien intègre au lieu d’exclure et le pays à sa suite oublie au lieu de se souvenir ?

Est-ce, peut-être, parce que, dans ce pays, on ne s’est jamais rappelé et il n’est donc pas besoin d’oublier ? Que veut dire « ne jamais oublier » quand il n’y a rien à rappeler ?

Mesdames et Messieurs : je vous parle maintenant de ma vie. Étant enfant, j’avais neuf ou dix ans, c’est-à-dire il y a presque quarante ans, je suis allé dans les tunnels du camp de concentration d’Ebensee. A cette époque, ces tunnels n’étaient pas en sûreté et c’était donc un lieu d’aventures pour moi et mes amis. Nous rampions avec de mauvaises lampes de poche sur le terrain mouillé, traversant des passages bas et entrant dans les énormes cavernes de la montagne avec ses ruines en béton.
Ce que nous ramenions dans nos sacs à dos de ces explorations dangereuses, c’était des pierres brillantes, du feldspath et du mica. Ce que nous ne ramenions pas, c’était un savoir d’où nous étions allés. Autant il n’était pas possible de cacher aux enfants le cimetière du KZ avec son poteau indicateur inquiétant pour nous, autant le secret de la montagne restait caché.

Restait-il caché parce qu’il voulait se cacher devant nous ? Sûrement pas : il avait été volontairement caché. Il manquait les personnes qui auraient expliqué ce que les installations des tunnels signifiaient. Où étaient donc les parents qui auraient raconté que des milliers de détenus du KZ avaient été maltraités à mort précisément là où nous faisions nos explorations ? Où étaient les parents qui nous auraient dit que, dans nos excursions, nous trébuchions sur les ossements d’hommes morts là pitoyablement ?

Où étaient les parents qui nous auraient parlé de la vie quotidienne en Autriche et spécialement à Ebensee entre 1938 et 1945 ? Où étaient les parents qui auraient expliqué qu’à cette époque-là encore, c’est-à-dire en 1970, les auteurs circulaient dans le voisinage, qu’ils se retrouvaient toutes les semaines dans une brasserie du centre d’Ebensee, d’où ils partaient, seulement 30 ans auparavant, régulièrement à la chasse aux juifs ? Où étaient les parents qui m’auraient dit que c’était justement l’auberge où ils m’envoyaient habituellement pour le repas de midi ? Où étaient les parents qui nous auraient prévenus qu’une aimable monitrice de gymnastique de l’endroit était une nationaliste allemande non déguisée ?

Mesdames et Messieurs : se souvenir n’est pas possible là où il n’y a rien dans le souvenir. « Ne jamais oublier » devient ainsi une espérance vaine. Je rends toute une génération responsable du fait qu’aujourd’hui on ne comprend pas, on ne condamne pas avec horreur, répulsion et exclusion ce qui s’est passé alors.

Pour rendre cela plus clair : il ne s’agit pas des auteurs, des dénonciateurs, des habiles suiveurs. Je parle de simples soldats de l’armée. Je parle de leurs familles, qui s’inquiétaient pour leurs fils qu’elles ont trop souvent perdus en guerre. Je pense aux témoins muets des pires crimes de l’histoire de l’humanité qui nous est proche.

Ce n’était évidemment pas un devoir – comme Kurt Waldheim l’avait affirmé – de servir les nazis. Ce n’était pas non plus un devoir de faire de la résistance. Mais cela aurait été un devoir, après l’effondrement du Troisième Reich, de parler, sans relâche et malgré tous les traumatismes individuels, de tout ce qui c’était passé.

Ce n’était pas important d’expliquer à ses propres enfants que l’on avait été enrôlé sans le vouloir dans l’armée ou dans l’appareil de propagande. C’était un cadeau !!! Il aurait été plus important d’expliquer que cette armée et ces appareils n’étaient pas des masses neutres ; qu’ils étaient autant chargés d’une énorme culpabilité que les mécanismes nazis.

Dit en une seule phrase : après 1945, il aurait été nécessaire que chacun participe à la responsabilité collective de l’Autriche.

Non seulement on est en droit d’exiger la vérité, mais la vérité doit être extorquée à l’homme afin qu’elle ne puisse pas se répéter.

Ne jamais oublier !

Je vous remercie de tout mon cœur d’avoir pu vous parler.

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(*) Le texte de ce discours est également publié, en allemand, sur le site du magazine Profil, à l’adresse suivante : http://www.profil.at/articles/1118/560/296136/gescheitert-wiederaufbau.


VERSION FRANÇAISE DU MESSAGE PRONONCÉ EN ALLEMAND

Mesdames, Messieurs,

Je mesure que ma position ce matin parmi vous est un peu difficile.

Permettez-moi d’évoquer rapidement de quoi est fait mon attachement personnel à Ebensee.

Mon père a passé dans ce camp plus d’une année. Le 6 mai 1945, il était moribond au Blockschonung, véritable antichambre du crématoire, selon le médecin détenu Gilbert Dreyfus.

En 1952, mon père revint pour la première fois à Ebensee. Il ne cessa pas jusqu’à sa mort, il y a vingt ans passés.

Cette première fois, il eut à cœur de retrouver une maison, sur la route empruntée par le kommando où, un temps, il fut affecté à l’usine Solvay. De cette maison, un jour, une femme était sortie pour lui mettre dans la main, furtivement, une pomme de terre. Il retrouva la vieille femme, à qui il tenait à exprimer sa gratitude – pour bien davantage qu’une pomme de terre. Lorsqu’il me conduisit ici, dix ans plus tard, en 1962, il m’a montré la maison.

Ma découverte d’Ebensee a commencé ainsi : les tunnels, mais aussi des Autrichiens amis.

M’exprimant à cette place en 2004 au nom de la délégation française, j’ai dit ceci : « Les horreurs d’Ebensee, c’est du passé. La vérité nous en restera largement inaccessible. La mémoire, c’est au présent : là est notre chantier ; là est notre responsabilité« .

Nous venons chaque année entretenir la mémoire des horreurs passées ; nous venons aussi remercier et soutenir les amis autrichiens qui, à Ebensee, accomplissent un travail remarquable, sans équivalent, je crois, en Autriche. Grâce au soutien de la municipalité, le Zeitgeschichte Museum, dans le bourg, et la conservation des traces de l’histoire, dans le sol et dans les têtes, constituent, pour tous ceux qui reviennent à Ebensee, des outils et un engagement précieux.

Or, chacun s’en souvient, il y a deux ans, un matin semblable à celui-ci, un petit groupe de néonazis a agressé les délégations présentes au fond de la galerie devenue musée. La délégation française fut la première atteinte : agression symbolique par une mise en scène explicitement nazie ; agression physique par des tirs de balles de plastique, dont l’une m’atteignit près de l’œil. Vous savez l’émotion produite par ces faits, largement médiatisés en Autriche, en Europe et au-delà. Une procédure judiciaire a été ouverte, un premier verdict a été rendu en décembre dernier, condamnant trois des prévenus. Ce jugement, selon nous, était équilibré et raisonnable.

En Autriche, comme en Allemagne et en France, la loi punit la propagande néonazie. Il serait dangereux qu’une démocratie renonce à appliquer ses lois. Cependant, nous savons bien que réprimer et surtout éviter les actes comme ceux qui furent commis au fond du tunnel en 2009 constitue une procédure complexe. Puisque, justement à Ebensee, beaucoup a été accompli pour faire comprendre, en particulier à la jeunesse, l’horreur du pouvoir des nazis.

Nous avons d’abord été tristes pour nos amis autrichiens, dont le travail pouvait apparaître soudain insuffisant ou même inutile.

Devant le tribunal, j’ai assuré que j’étais sans haine, et même sans ressentiment personnel à l’égard des accusés. Mais qu’il ne fallait pas seulement exiger d’eux que désormais ils s’abstiennent, mais encore qu’ils s’engagent en faveur des valeurs des sociétés démocratiques.

Je veux que vous sachiez que nous ne venons pas devant vous en donneurs de leçons. Le problème devant lequel nous sommes concerne aujourd’hui toutes les nations d’Europe, y compris la France, bien sûr. Tous ici, nous défendons les valeurs humanistes qui fondent la démocratie. Une cérémonie comme celle qui nous réunit ne doit pas nous bercer d’illusions. Nos ennemis, dans tous nos pays, sont les mêmes. Observons bien qu’aujourd’hui, leur force grandit.

Connaître-Témoins

Témoins

Dans cette rubrique, vous trouverez les biographies de déportés qui ont apporté leur témoignage sur leur arrivée au camp de Mauthausen et la vie qui les y attendait.

>> BIOGRAPHIES

Vous trouverez également les portraits de quelques déportés, scientifiques ou artistes, résistants ou religieux.

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Lire également : TÉMOIGNAGES

LE TROISIÈME MONUMENT

  • ◊ Après le premier monument – le monument français de Mauthausen –, le premier construit en Autriche (1949) sur l’une des terrasses où se trouvait le cantonnement SS (ces terrasses sont aujourd’hui occupées par l’ensemble des monuments nationaux) ;
  • ◊ cinquante ans après le deuxième monument, celui du cimetière du Père-Lachaise à Paris construit en 1958 ;
  • ◊ le troisième monument est un monument immatériel ; pour autant, ce site Internet constitue un authentique mémorial ainsi qu’un outil de recherche sur les Françaises et Français déportés à Mauthausen :
    – 9.500 fiches individuelles de déportés,
    – de nombreux articles d’historiens sur les convois et Kommandos,
    – et bien d’autres à venir.

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