Préservation du site historique du camp de Mauthausen

Préservation du site historique du camp de Mauthausen :
des gestes intempestifs qui semblent lourds de menaces politiques

Après la fermeture de l’escalier de la carrière, pour de prétendues contraintes de « sécurité » – et qu’il faut espérer ne pas être annonciatrice d’une intervention plus lourde sur ce lieu d’une grande importance emblématique –, une autre vient d’être effectuée, que rien, lors des cérémonies de mai, ne laissait craindre :

LA CONSTRUCTION D’UNE TOUR DE BÉTON, DANS LA COUR DES GARAGES SS,
DESTINÉE À UN ASCENSEUR POUR HANDICAPÉS

« Accessibilité » : un alibi de même nature que la « sécurité » supposée justifier la fermeture des escaliers, en particulier celui de la carrière. Faut-il s’attendre aussi, pour le même motif, à ce qu’un ascenseur double l’escalier de la carrière… ? Ce serait une pollution aussi scandaleuse du site historique. Dans les deux cas d’ailleurs, il ne s’agit pas de rendre accessible un trajet vers une partie du site qui ne le serait pas autrement : à la carrière, tous ceux qui ne peuvent emprunter l’escalier gagnent le camp par la route ; l’accès au portail d’accès au camp des détenus se fait aussi par la route. Dans la même logique, faut-il craindre maintenant que l’escalier qui permet de descendre vers « les douches » – autre lieu dont l’aspect intact frappe tous les visiteurs – soit doublé d’un ascenseur éventrant l’espace ?
Le respect du monument historique que représente le camp oblige à réfléchir aux moyens permettant à tous d’emprunter le même parcours sans polluer le site par des dispositifs qui lui font perdre son identité. Sans rejeter l’accessibilité qui doit être une priorité, ici, malgré tout, le patrimoine historique prend le pas sur la nécessité d’usage et d’autres solutions sur place – dont nous mesurons l’impact financier – et alternatives doivent être envisagées.

avant…, avec les stèles américaines – photo © Chantal Lafaurie, 2014

… aujourd’hui… – photos © Andreas Baumgartner, secrétaire général du C.I.M., 2018

« Monstrueux », tel est le mot qu’a lancé, voyant cette construction, Laurent Laidet (muséographe, membre du Bureau de l’Amicale de Mauthausen, membre suppléant du CIM).
Ce lieu est important à deux titres : il offre l’un des rares vestiges d’époque, et le plus considérable dans son aspect historique. C’est donc une agression d’ampleur contre un vaste paysage de granit, inchangé depuis 1945. Or les murs extérieurs de cette cour ont récemment été l’objet d’une restauration très respectueuse du site. Les archives photographiques conservent de nombreuses images de cette « cour des garages SS » :
– paysage global, en particulier lors de la « désinfection », juin 1941 ;
– parades de gardes SS, cadrées sur cet escalier qui regagne la terrasse où se situe la Kommandantur et le camp des détenus ;
– scène de la libération, fixée par l’ancien détenu Francisco Boix : le sergent Albert J. Kosiek entouré de médecins de la Croix-Rouge acclamé par une foule de survivants, 5 mai 1945.
Enfin, le lieu qui vient de subir cette agression insensée et irresponsable était l’objet chaque année d’un moment cérémoniel, devant les stèles américaines apposées sur le mur et rappelant l’arrivée des libérateurs. Où sont passées ces stèles ? L’ambassade des États-Unis a-t-elle donné son accord à cette opération ?

La hâte et le secret ont présidé à cette construction. Il est inadmissible et significatif qu’une telle opération, aussi ouvertement destructrice d’un lieu historique, ait été réalisée sans concertation ni information préalables. Il est inimaginable que les autorités compétentes en matière de protection des sites aient pu donner une autorisation à cette aberration. Cette inconséquence se double d’une volonté manifeste de dissimulation. La politique du fait accompli ne saurait être la marque de la politique de conservation et valorisation du site. En réalité, la hâte et le secret ne peuvent être interprétées par les associations nationales réunies dans le C.I.M. que comme une tentative d’intimidation, une brimade, identique – mais plus grave, parce que supposée être définitive – à la fermeture intempestive et bien sûr provisoire de l’escalier de la carrière. L’émotion soulevée par cette initiative choquante est immense. Était-ce le but : montrer qui est le chef ?

Démolition rapide et remise en état du lieu : c’est la seule réponse possible à cette opération honteuse, que nous allons porter à la connaissance internationale.

Daniel Simon

N.B. – Ce texte a été intégré à l’important memorandum produit par le Comité international et envoyé à la direction de Mauthausen Memorial)