Espagne

L’Amicale de Mauthausen est liée, d’une manière complexe, à l’histoire spécifique de la déportation des républicains espagnols, à la mémoire espagnole de l’exil et du camp. 

Les détenus espagnols à Mauthausen étaient forts de leur engagement antérieur : combattants républicains contre les putschistes franquistes en 1936, réfugiés en France en février 1939 et combattants de nouveau, comme supplétifs de l’armée française en 1940 – le même combat. En dépit des dissensions internes du camp républicain (entre communistes, trotskistes, anarchistes), encore très perceptibles aujourd’hui dans les associations de l’exil espagnol, ils furent à Mauthausen un collectif beaucoup plus homogène idéologiquement que le groupe des Français, qui était, lui, le reflet du large spectre politique de la résistance à l’occupant, allant des militants communistes à divers courants de la droite antirépublicaine (monarchiste, nationaliste, pétainiste même). Parmi les Espagnols, pas de déporté « par hasard », pour reprendre le mot de Cayrol, tels les raflés qui firent la plus grande part des convois Meerschaum. Les réfugiés espagnols faits prisonniers par les Allemands furent assignés au « triangle bleu » des « apatrides », ayant été spoliés par Franco et Hitler de leur nationalité et privés, avec la complicité de Pétain, du statut de prisonnier de guerre : ni résistants ni otages, tous combattants antifascistes et, pour la plupart des 2 000 rescapés, revenus en France à leur libération, pour un second exil qu’ils espéraient transitoire.

L’accueil réservé par l’Amicale française, depuis l’origine, aux déportés espagnols exilés en France – qui avaient subi en 1939 les camps d’internement ouverts sous la IIIe République – inclut une sympathie politique. Celle-ci reflète le centre de gravité de l’Amicale, en tout cas les premières décennies et qui fit consensus : l’Amicale eut L’Espagne au cœur, souvenir des Brigades internationales, anti-franquisme, soutien des réfugiés. L’Amicale française fut jusqu’à la mort de Franco, fin 1975, la seule structure de mémoire des déportés espagnols à Mauthausen. La fidélité des familles espagnoles liées à cette histoire est une réalité précieuse de l’Amicale actuelle, officialisée en 2013 par un vote (à bulletins secrets) du conseil d’administration : le drapeau de l’Amicale porte une cravate aux couleurs de la République espagnole (cf. bulletin n°334, octobre 2013, p. 3). L’Amicale avait aussi initié la reconnaissance légale des droits des rescapés espagnols. Jusque dans la période récente, cette connivence est fertile : l’idée de l’exposition La part visible des camps fut formulée par la délégation française lors d’une rencontre à Barcelone avec l’Amical de Mauthausen y otros campos en 2002. En 2017, l’Amicale française put organiser, après une décennie de démarches, la réinhumation de Francisco Boix au cimetière parisien du Père-Lachaise en présence des autorités parisiennes, autrichiennes, espagnoles, barcelonaises. 

Ce partage n’est pas une osmose fusionnelle : la mémoire espagnole conserve ses spécificités, exprime une tonalité de douleur irréductible, qui tient d’abord sans doute au poids de l’exil, fût-il de très longue durée.

Des publications significatives en français, ces dernières années, racontent le croisement des histoires française et espagnole de Mauthausen : traduction de la biographie de Boix par Benito Bermejo, roman graphique de Salva Rubio et Pedro J. Colombo sur Le photographe de Mauthausen, récit stupéfiant de David Pineda, Grand-père, je t’ai trouvé !

En Autriche, les actions de mémoire des déportés républicains espagnols portées par l’Amicale française sont éloquentes : le monument espagnol à Mauthausen fut érigé en 1962 sur une portion du terrain dévolu au monument français ; une stèle franco-espagnole à Steyr, des stèles espagnoles à Gusen, Ebensee… ; lors des voyages de mémoire, gestes partagés avec les délégations espagnoles (venues d’Espagne et… d’Autriche), recueillement à Linz, à plusieurs reprises, sur la tombe (dont il avait fallu connaître la localisation) d’Anna Pointner, l’habitante de Mauthausen qui avait pris le risque de cacher les photos SS dérobées.

Les deux amicales sont convenues début 2020 de tenir des rencontres régulières destinées à coordonner des actions et construire une communauté d’analyse, face aux autorités autrichiennes et dans le cadre du Comité international de Mauthausen.

à lire également : Le camp des Espagnols, par Pierre Saint Macary, extrait de La déportation – le système concentrationnaire nazi, édité par le musée d’Histoire contemporaine, BDIC, 1995 (également in bulletin n°263, juin 1995, p. 9).