Il y a 80 ans, la Retirada

L’activité de mémoire peut-elle consister à (se) relire ? Ainsi cet édito du bulletin n°316, dont, dix ans après, il n’y a, hélas, rien à changer, que le décompte des années. « peut-on réparer l’histoire ? » demande le juriste Antoine Garapon. En Espagne, oui, des voies sont toujours en attente d’être tracées, des fosses ré-ouvertes, des comptes soldés.

Février 1939, il y a quatre-vingts ans :

[…] La retirada, exode massif des républicains espagnols, après la chute de Barcelone. Vu de France, l’afflux d’une masse de réfugiés que saura si mal accueillir notre République pourtant fraternelle.

La guerre d’Espagne, qui s’achevait dans cette détresse et cette catastrophe, fut en Europe le premier champ de bataille de la Seconde guerre mondiale dont le destin s’était scellé à Munich, cinq mois plus tôt. Le «  pacifisme » aveuglait « les démocraties », et Pétain était ambassadeur à Madrid, à son aise chez Franco. S’il n’y avait eu les Brigades internationales – cette page généreuse qui n’a pas d’équivalent dans l’histoire –, écrasante serait notre honte de l’abandon à son sort de la République espagnole, écrasée pas les franquistes et les armées allemande et italienne.

Quant aux camps français de concentration (comme on disait), où les réfugiés furent internés, les Espagnols parmi d’autres, n’en avons-nous pas longtemps détourné le regard ? Oh certes, Le Vernet n’est pas un camp nazi, et la IIIe République n’est pas Vichy, et il convient que le discours de l’exil maintienne ces distinctions.

Quatre-vingts ans ont passé. De nos amis espagnols parmi nous, la blessure, l’humiliation, le ressentiment sont intacts. Celui qui demande à l’un d’eux, quel que soit son âge, ce qui permettrait d’en finir avec ce mal être, peut s’attendre à cette réponse péremptoire : la République ! C’est ainsi.

Ayant précédé les Français dans l’expérience de l’ennemi, les Espagnols de France, sous l’uniforme français en 1939, à Mauthausen dès 1940, furent des combattants aguerris, organisés, tenaces. En dépit de leur rude expérience de la France, ils surent reconnaître comme des camarades de combat contre le nazisme les Français débarqués au camp à partir de 1942.

Mais tandis que les déportés espagnols transportaient en eux les idéaux et les combats du Frente Popular en même temps que la République, cette identité idéologique, certes traversée de déchirures profondes, n’est pas globalement celle des déportés français. Plus nettement encore : parmi les Espagnols du camp, il n’y eut pas de « pris par erreur, pris au hasard », pour emprunter les mots de Jean Cayrol dans Nuit et Brouillard.

Il est une autre année terrible de l’exil, où les Espagnols furent tout à fait seuls : 1945, lorsque les armées libératrices ne franchirent pas les Pyrénées… Ce printemps-là, les Espagnols libérés à Mauthausen, mais non de Franco, n’eurent d’autre choix, la quasi-totalité, que de revenir sur le sol français. Notre Amicale, qui se créa à l’automne fut aussi, d’emblée, naturellement la leur, la vraie terre d’accueil qui s’offrit à eux – au moins jusqu’en 1975. Et ceci s’est transmis avec une fidélité remarquable, dans la succession des générations, jusqu’aujourd’hui.