L’internement des nomades, une histoire française (1940-1946)

au Mémorial de la Shoah, jusqu’au 17 mars 2019

« Une histoire française », précise en titre l’exposition. En effet, l’internement des nomades, qui concerne 6.700 personnes, pour l’essentiel des familles avec enfants, français pour la plupart, n’est pas une décision de l’occupant allemand. D’ailleurs, ces camps, au nombre d’une trentaine, ne fermeront qu’en mai…1946, et bien avant 1940, la législation française avait exclu les nomades de la communauté nationale : avec le carnet anthropométrique mis en place en 1912, il s’agit de surveiller leurs déplacements. Et dès le 6 avril 1940, la circulation leur est interdite sur l’ensemble du territoire, car ils sont a priori suspects d’espionnage. Dans la zone occupée, ils sont internés en octobre 40 dans des camps : là, ils sont spoliés de leur matériel (chevaux, roulottes, cirques, matériel cinématographique…), ils connaissent la faim, le travail forcé (une liste montre les nomades envoyés dans l’usine Renault du Mans), des conditions de vie indigne. Pendant la guerre, la politique nazie envers les « Zigeuner » se radicalise jusqu’aux déportations du 24 janvier 1943 vers Sachsenhausen et du convoi Z en janvier 1944 : 350 personnes, dont 75% de femmes et d’enfants, sont arrêtés dans le Nord, regroupés à Malines avant de partir pour Auschwitz, d’où 32 reviendront.

Cette exposition présente des documents d’archives, papiers officiels, registres mais aussi des lettres : ainsi la correspondance adressée par les femmes à « Monsieur le Directeur du camp » de Linas Montlhéry. Sur un document saisissant où elles dénoncent le manque de nourriture et réclament du pain pour leurs enfants, on lit au crayon gras bleu la mention : « demande absolument infondée ». Quelques photos d’époque, assez rares, montrent l’aspect de ces camps dont il ne reste aussi plus rien ou si peu. Ainsi de Montreuil-Bellay, dont seuls quelques soubassements et la prison souterraine subsistent, mais demeurent inaccessibles au public. Les vidéos de témoignages sont très intéressantes : les personnes interrogées racontent leur arrestation, leur emprisonnement, la brutalité de leurs gardiens français et de la milice, leur engagement dans les FTP pour ceux qui se sont évadés. Les responsables d’associations de mémoire disent leurs difficultés à convaincre les politiques de sauvegarder un lieu, d’apposer une plaque.

Les nomades n’auront droit à aucune indemnisation après-guerre, le carnet de circulation ne sera supprimé qu’en 2017, leurs porte-parole disent qu’ils sont « oubliés de l’histoire ». Ainsi les lois discriminatoires prises par un gouvernement démocratique, celui de la Troisième République, ont facilité la mise en place de la politique nazie de persécution des nomades. À méditer.

Sylvie Ledizet