Le calendrier mémoriel, formes et sens

Le témoignage de Pierre Serge CHOUMOFF

Mauthausen, 5 mai 1945

Dans l’après-midi du 5 mai, un groupe décide d’arracher l’aigle, symbole de l’oppression des SS, de la porte de la cour des garages. Pierre Serge Choumoff a témoigné de cet épisode dans un entretien du 6 janvier 2005 :

« Lorsque nous avons appris l’entrée des premiers Américains, il y avait une très grande excitation sur la place d’appel. Je me rappelle m’être rendu vers la porte principale avec plusieurs compagnons français pour récupérer des armes dans la Kommandantur. Je me suis ensuite retrouvé dans la cour des garages et j’ai vu un groupe de prisonniers, pour l’essentiel des Espagnols, qui s’apprêtait à décrocher l’aigle. J’ai posé mon fusil et je me suis joint à eux. Je voulais participer activement à cette action symbolique. Je me rappelle qu’il a fallu s’y reprendre à plusieurs fois et forcer sur la corde. Puis l’aigle est tombé et s’est fracassé au sol. Sur la photographie qui a été prise alors, je me suis reconnu à droite sur l’image. Je portais alors une bande de tissu rayé cousu dans le dos et sur la jambe, signes distinctifs des détenus de Gusen. »

Libération de Mauthausen

L’histoire retient que la libération du camp de Mauthausen eut lieu le 5 mai 1945. L’une des images les plus diffusées de l’événement, qui montre un convoi de blindés s’avançant vers le portail du camp entouré d’une foule en liesse ayant déroulé une banderole en espagnol fut prise le 7, et la scène est une reconstitution pour l’image, afin d’immortaliser un moment historique. Chacun sait interpréter la liberté prise avec la vérité des faits.

Les Français (et les Belges) détenus au camp central bénéficièrent, pour la quasi-totalité d’entre eux, de libérations anticipées, en trois convois, les 22, 24 et 28 avril, à la suite de tractations réussies par la Croix-Rouge internationale. Quelques jours de moins au camp, ce n’était pas indifférent ! Le 5 mai 1945, ces déportés français sont arrivés à Paris, et le 8, certains d’entre eux sont à l’Arc de Triomphe pour fêter la Victoire sur l’Allemagne nazie. Le 5 mai, les Français qui ont vécu la libération du camp de Mauthausen sont ceux qui ont été ramenés le 28 avril, à pied, du camp de Gusen. La plupart des déportés français encore en vie début mai 1945, étaient à Ebensee, au Loibl, qui furent libérés les 6 et 8 mai.

Adeline Lee, dans le chapitre qui traite des derniers mois et de la libération des Français, est attentive au détail des jours qu’on résume par les événements proprement dits. Par exemple :

« Pendant quelques heures, après le départ du dernier convoi de la Croix-Rouge, Émile Valley a donc été, avec quelques médecins, presque le seul Français valide au camp central avant d’être rejoint par les évacués des Kommandos sous la menace des armées alliées. Il témoigne de ce que ces compatriotes arrivaient plein d’espoir, croyant leur libération proche. Le 28 avril, plusieurs centaines de Français valides présents à Gusen sont reconduits sous une pluie torrentielle au camp central, en vue de leur rapatriement par la Croix-Rouge. Malheureusement, le convoi de rapatriement qu’ils avaient croisé fut le dernier avant le départ des SS du camp, la situation militaire et l’encombrement des routes entravant désormais totalement la circulation des véhicules, déjà peu aisée quelques jours auparavant, comme en témoigne le rapport sur ces opérations : « Le convoi se dirige vers Linz – qui vient d’être sérieusement bombardé – et parcourt les rues éventrées par les bombes. Les chauffeurs canadiens et suisses doivent faire des acrobaties. » Entendu dès son arrivée à Paris par les services du ministère Frenay, Paul Guivante de Saint-Gast, alias Marco Polo, donne aux autorités françaises un tableau assez juste du nombre et de la localisation de ses compagnons qui restent à rapatrier : sur les 79 800 présents, 4 400 seraient de nationalité française et se trouveraient dans les camps d’Ebensee (2 500), Mauthausen (600), Gusen (600), Loibl Pass (300), Linz (200) et Wels (200). Il précise par ailleurs qu’après ce transport, il ne resterait plus à Mauthausen que deux Françaises. Lui-même donne les clefs de sa connaissance précise des effectifs lorsqu’il indique avoir effectué durant sa captivité tout le travail nominatif concernant les Français, « travail qui est en lieu sûr sur place et qu’il faudra récupérer lorsque le camp sera libéré ». Sa connaissance ne se borne pas aux effectifs puisqu’il témoigne également de l’extermination en cours, 800 personnes ayant été gazées dans la nuit du 21 au 22 avril, 1.200 ayant péri la nuit suivante. Après ces trois convois et pendant près d’une semaine, rien n’évolue réellement, et c’est seulement le 3 mai que les SS quittent le camp de Mauthausen, remplacés par des hommes du Volkssturm et des pompiers de Vienne (Wiener Feuerschutzpolizei) commandés par le colonel Kern. Pour les Français restés au camp, il allait désormais falloir attendre la véritable libération, puis de longues journées avant de pouvoir espérer rentrer chez soi. »

NDLR : pour cette présentation, les notes de l’auteur ont été supprimées.

L’Amicale ravive la Flamme sous l’Arc de Triomphe de l’Étoile

Cette cérémonie, que Pierre Saint Macary nous a désignée comme un rendez-vous à honorer sans faillir, s’est tenue la première fois en 1946. Depuis lors, une délégation de l’Amicale de Mauthausen, chaque 5 mai, a ravivé la Flamme et déposé sur la tombe du Soldat inconnu une gerbe presque toujours en forme de triangle rouge, frappé d’un F de fleurs blanches, comme le 4 avril 1945, qui était un samedi (voir sur ce site, où la collection complète de nos bulletins est accessible, le n°5).

Le 5 mai 2020, le Comité de la Flamme a procédé en notre nom au ravivage de la Flamme et a déposé la gerbe de l’Amicale. L’Amicale remercie chaleureusement Monsieur Éric Banse, commissaire coordinateur à la cérémonie de ravivage de la Flamme.

le ravivage de la Flamme par le Comité de la Flamme, Paris, 5 mai 2020

Les commémorations sur les sites de Mauthausen, en Autriche et en Slovénie

L’usage a établi que la principale cérémonie internationale se tient le dimanche qui suit le 5 mai. Les autorités autrichiennes prennent des libertés parfois avec ce calendrier, en particulier pour tenir compte du calendrier des fêtes catholiques.

En Slovénie, elles se déroulent en principe vers la mi-juin, pour tenir compte du calendrier national slovène. On se souvient que, en 2019, les Autrichiens de Carinthie et les Slovènes ne sont pas tombés d’accord sur une date commune, événement sans précédent. Ceci a contraint l’Amicale à accomplir deux déplacements, à une semaine de distance…

En ce printemps 2020, ainsi que nous l’avons indiqué il y a un mois, tous nos rendez-vous mémoriels publics sont supprimés. Nous avons donc décidé, alors que la décision d’annulation a été prise tardivement par les organisateurs autrichiens, de renoncer au voyage du 75ème anniversaire, les amis italiens et espagnols ayant fait de même. Pour nos trois pays réunis, ce sont des milliers de participants attristés, mais qui affirment le report sur 2021 des énergies mobilisées. – sur le thème de cette année : « une humanité sans frontières »… ! Puis le MKÖ (Mauthausen Komitee Österreich) a convaincu le Comité international de s’impliquer dans un programme de cérémonies « virtuelles » médiatisées auxquelles il était demandé à nos associations d’apporter des contributions. Ainsi, nous a-t-on assuré, tout aurait lieu comme d’habitude – ce que nous ne pensons pas du tout. C’est le contenu même du message envoyé par l’Amicale, et qui devrait trouver place dans la « cérémonie virtuelle » du 10 mai, à 11h.

► site du MKÖ

Un message de Daniel SIMON