Adeline Lee, Les Français de Mauthausen

Scientificité de l’objet d’étude

Notre intérêt pour le livre annoncé, l’impatience à l’approche de l’événement, l’implication active de l’Amicale dans sa publication ne doivent pas conduire à penser que la chercheuse a œuvré sur commande : motivations, genèse de sa thèse, quinze ans d’immersion dans cette aventure universitaire – l’Amicale n’y eut aucune part, l’historienne a travaillé en pleine souveraineté. Il va de soi que nous serons les premiers lecteurs, à coup sûr les plus en attente.

Y avait-il donc du sens, outre offrir incidemment pareille ressource à une association de mémoire, à faire d’un groupe national de concentrationnaires, en un camp spécifique, l’objet d’une étude scientifique ? Dans l’introduction de son livre, l’autrice fournit des réponses claires. Les Français – et non l’ensemble des personnes convoyées de France vers les camps – constituaient un groupe aisément repérable dans les archives de l’administration SS (transports, enregistrement, affectations, mortalité). Les archives primaires en France sur Mauthausen, contrairement à ce qu’on pourrait penser, sont très riches et étaient non encore exploitées. Aux pièces originales rapportées en nombre à la libération, conservées principalement à Caen, l’historienne adjoint d’autres sources : le fonds de l’Amicale aux Archives de France, qui contient de très nombreuses pièces individuelles, les procédures d’arrestation, de jugement, d’internement – sur lesquelles la thèse de Thomas Fontaine, non encore éditée, a nourri la démarche –, les archives relatives à l’après-guerre pour saisir les retombées.

Il était donc possible de suivre le groupe des Français depuis les arrestations jusqu’à l’histoire de l’Amicale elle-même. Bien entendu, du plus près qu’il était possible au camp même, grâce aux méthodes de l’« histoire quantitative », en demandant aux statistiques de mettre en lumière des réalités ressenties mais sans visibilité globale, par la conscience et les récits des détenus : les logiques d’affectation au travail, les circonstances du plus haut risque, les déterminismes de l’âge, des « bons » ou « mauvais » convois, transferts, etc. Ceci ne se peut sur une masse disparate, sans trajectoires ni attaches connues.

Car l’ambition de la chercheuse est de cerner objectivement ce qu’on ne connaît que par la subjectivité des récits ou le répertoire des faits ; elle souligne que les historiens de la période, qui ont été prolixes et pénétrants sur la résistance, pour les « fusillés, déportés, morts au combat se contentent généralement de présenter un bilan des pertes ». Ce n’est pas ici le lieu d’indiquer toutes les ouvertures que propose l’historienne sur la condition concentrationnaire, d’un groupe à la fois homogène et très divers de détenus, selon le plan simple que nécessite son sujet : la chronologie des épisodes de vies ayant traversé Mauthausen. Sans négliger les trajets indirects jusqu’à la forteresse, via d’autres camps ou après arrestations hors de France.

Avec la clarté d’une pensée complexe, Adeline Lee explique aussi pourquoi son travail se fixa sur Mauthausen.