Les photos perdues du Loibl Pass

Vladimir Peniakoff dit « Popski »

Le Loibl Pass était un camp annexe du camp de concentration de Mauthausen situé à la frontière de l’Autriche et de la Yougoslavie. Les déportés, en majorité des politiques français, creusèrent un tunnel dans le massif des Karawanken pendant deux années (1943-1945). Aujourd’hui, le tunnel du Loibl Pass est utilisé par les touristes allemands et autrichiens pour se rendre sur l’Adriatique.

Ces photos, je savais qu’elles existaient. Je les cherchais depuis si longtemps ! En rentrant de Mauthausen, ce camp de pierres qui m’obsédait depuis la mort de mon père, enfin libéré d’une promesse que je m’étais faite il y a 37 ans, j’avais recontacté Anice Clément et Christian Tessier pour leur dire mes impressions. La quête avait repris.

Le 8 mai 1945, libérés de leurs gardes par les partisans yougoslaves sur une route de Carinthie à 15 km au nord du tunnel, les déportés du Loibl Pass virent au loin dans la poussière une colonne de véhicules. C’était une unité avancée de la 8ème armée britannique. Les Anglais, d’abord surpris, sans informations sur ce camp qui leur était inconnu, avaient pris des photos.

Mais qui étaient ces Anglais ? Quel était ce détachement ? Où trouver ces photos que personne n’avait jamais vues ? J’avais contacté le ministère anglais de la Défense, l’Imperial War Museum, cherché sur les sites des armées britanniques, rien ! Nulle trace des déportés du Loibl Pass. Je changeai alors de stratégie. J’essayai les associations, les anciens combattants, les sites mémoriaux, quand, enfin, un dimanche d’avril 2013, m’intéressant à une histoire incroyablement rocambolesque, celle de la Popski’s Private Army, je découvris une petite image intitulée « Liberated frenchmen » à côté d’une autre « Villach Austria 1945 ».

Je contactai l’Association des amis de la Popski’s Private Army et le soir même la première photo arriva.

Voici l’histoire du major Vladimir Peniakoff dit « Popski » et des photos perdues du Loibl Pass.

Vladimir « Popski » Peniakoff et son mitrailleur, Ron Cokes


Vladimir Peniakoff fonda au Caire en 1942 une unité spéciale intitulée le 1er escadron de démolition (N°1 Demolition Squadron). Composée au départ d’une vingtaine d’hommes recrutés pour leur expérience de survie, cette unité très spéciale avait pour mission d’infiltrer les lignes ennemies, de faire du renseignement et, surtout, de saboter les communications et le ravitaillement en carburant de Rommel.

Leurs missions couronnées de succès, l’unité, vite légendaire, passa sous les ordres exclusifs du maréchal Montgomery et devint la « Popski’s Private Army » (PPA) d’après le surnom que le Long Range Desert Group [les patrouilleurs du désert] avait donné au désormais major Vladimir Peniakoff.

En 1943, après le débarquement en Sicile, la PPA comptait près de 100 hommes équipés de jeeps et de mitrailleuses lourdes mais aussi de camions et de canons anti-chars avec toujours le même objectif : guérilla, harcèlement, sabotage. Elle participa à toute la campagne d’Italie.

En décembre 1944, à Ravenne, Popski fut gravement blessé. Amputé de la main gauche, il repartit au combat en avril 1945. C’est son unité, dont la redoutable efficacité fit croire aux Allemands qu’il s’agissait d’une division entière, qui pénétra en Autriche par le col de Tarvis le 8 mai 1945 à l’aube en compagnie des blindés du 27ème Lanciers.

Dans ses mémoires (Popski’s Private Army, 1950 / Mon Armée Privée, Gallimard 1953, pour la traduction française), Vladimir Peniakoff raconte sa rencontre avec les déportés du Loibl Pass :
« Le lendemain [après la 1ère capitulation de l’Allemagne le 7 mai 1945], roulant sur les routes autrichiennes, nous rencontrâmes un groupe de trois cents créatures humaines, pieds nus, vêtues de pyjamas rayés gris et blanc, têtes rasées, teints couleur de cendres, regards vitreux, os saillants, cadavres qui avançaient par rangs de quatre, traînant péniblement les jambes, dont l’aspect fantomatique conservait un semblant d’ordre militaire. Quand elles furent près de notre convoi que j’avais arrêté, intrigué, des voix rauques s’élevèrent en une espèce de chant, une bourdonnante Marseillaise, guère plus forte qu’un murmure. C’étaient des prisonniers politiques français. Cet ignoble traitement leur avait été infligé par leurs geôliers allemands dans un camp de concentration haut dans la montagne. « Si les Allemands sont vraiment ainsi, me dis-je, eh bien, nous aurons du mal à les amender ! » »

Le soleil est au zénith quand les déportés rencontrent les blindés du 27ème Lanciers et les jeeps de la PPA. Ils viennent de quitter, drapeau en tête, les partisans de Tito qui leur ont fait une haie d’honneur. Après avoir fraternisé avec les soldats britanniques, les déportés décident de rejoindre la 8ème armée à Villach. Popski va à la rencontre des partisans, il les trouve toujours en rangs et les passe en revue avec le major Scholfield du 27ème Lanciers.

Il repart bientôt au volant de sa jeep en s’aidant du crochet fixé à son poignet gauche. Rencontrant le lendemain les Russes à Wolfsberg en devançant de près de 100 km le reste de l’armée britannique, il contribuera à fixer, aussi loin que possible, la zone militaire soviétique.

L’un des soldats britanniques reconnut Leopold Servole (matricule 28 535) qui avait été capitaine de l’équipe de France de rugby.

Il avait joué contre lui avant guerre !

Vladimir Peniakoff était né à Bruxelles en 1897 de parents russes. Étudiant à Cambridge, il s’engagea dans l’armée française pendant la 1ère guerre mondiale où il fut blessé. Il travailla en Égypte et devint membre de la Royal Geographic Society. Parlant plusieurs langues dont l’allemand, approché par le MI6, il servit dans l’armée anglaise dès octobre 1940 après l’invasion de la Belgique.
Military cross (GB) – Distinguished Service Order (GB) – Ordre de la Couronne avec palmes (Belgique) – Croix de guerre (Belgique)
Naturalisé anglais en 1946, « Popski » est mort en 1951.

Les photos conservées par l’association des Amis de la Popski’s Private Army sont intitulées AustriaPOWs (prisoners of war).
Numérotées de 1 à 7, elles n’ont jamais été vues depuis 68 ans.


Autriche, 8 mai 1945

Photos inédites de la libération des déportés du Loibl Pass très aimablement fournies par l’association Friends of Popski’s Private Army et ses membres distingués.

La photo suivante intitulée Popski with Yugoslav Partisans ne provient pas de la même série. On peut voir sur la droite passer un déporté dans sa tenue rayée. (source : Special Forces – Roll of Honor)

Sur les 540 déportés français, une centaine rejoindra l’armée yougoslave pour former la brigade Liberté. Les autres rejoindront à pied Rosenbach puis, en chemin de fer, la 8ème armée britannique à Villach.

La photo ci-dessous est extraite du livre de Janko Tisler et Christian Tessier, De Mauthausen au Ljubelj (Loibl-Pass), L’Harmattan, 2005.
Prise le même jour au même endroit, elle montre « 
Popski » et le major Scholfield, commandant l’escadron A du 27ème Lanciers, passant en revue les partisans yougoslaves toujours en rangs.
(source :
27th Lancers War Diary, Bovington Tank Museum)

annexes

Le trajet de la PPA et des déportés

La Popski’s Private Army en 1945 est composée de 4 patrouilles R, B, S et Blitz, chacune comportant 6 jeeps et 3 hommes. Quand Popski sera hospitalisé, elle sera commandée par un Français : Jean Caneri.

La Blitz Patrol en Italie (source : Special Forces – Roll of Honor)

Pour mon père Jacques Lavigne (1907-1976) matricule 26965 Loibl Pass
Alain Lavigne, Paris, septembre 2013