Concept

MAUTHAUSEN

Les camps ont couvert d’un maillage serré l’espace vital des nazis (Allemagne et pays conquis). Parmi eux, Mauthausen se signale par plusieurs caractéristiques :

Le camp autrichien
Son implantation, près de Linz (région natale de Hitler), suit de peu le rattachement de l’Autriche au Reich, en mars 1938. La bourgade colorée des rives du Danube devient, avec l’asservissement des peuples vaincus et les besoins de l’industrie de guerre nazie, le centre d’un réseau d’une soixantaine de camps annexes (les plus importants : Gusen, Melk, Ebensee, Zipf, Steyr, Loibl).

Le camp des « irrécupérables »
À Mauthausen, furent conduits plus de deux cent mille hommes, et quelques milliers de femmes, en particulier à l’évacuation de Ravensbrück. Cent vingt mille d’entre eux y furent assassinés, par les conditions du travail forcé, les mauvais traitements, la logique d’extermination des inaptes au travail, des Juifs, de ceux qui avaient le malheur de servir de cibles. Dans la classification nazie, Mauthausen est le seul camp de 3e catégorie, la plus dure, et destiné aux « irrécupérables ».

Le camp des Espagnols
Les détenus viennent de toute l’Europe occupée. Dans cette Babel, signalons l’afflux, à partir de 1941, de prisonniers de guerre soviétiques (privés de ce statut), de Juifs hollandais puis hongrois, et, dès août 1940, des Espagnols républicains, capturés en France où, pour beaucoup, ils avaient repris le combat sous l’uniforme français, et qui seront, avec les Polonais, les plus anciens détenus non Allemands. Des dix mille Français qui ont été déportés à Mauthausen à partir de 1942, plus de la moitié ne revinrent pas.

Des pierres qui parlent
À la différence des camps installés dans des casernes réaffectées ou – pour le massacre de masse par le gaz – dans des enclos aisément effaçables, Mauthausen est l’emblème d’un système éloquent et pérenne : une forteresse de granit, aux miradors esthétisés, surplombant un théâtre de mort, cette impressionnante carrière et son escalier de 186 marches.

UN FONDS PHOTOGRAPHIQUE EXCEPTIONNEL

D’aucun autre camp, autant de photographies n’ont été conservées, et cette exposition est l’aboutissement de plusieurs aventures.

Une histoire espagnole
Les SS ont beaucoup photographié : fichage bureaucratique des détenus, exaltation du modèle disciplinaire et hygiéniste, « tentatives d’évasion », etc. Les dernières semaines de leur domination, ils ont détruit en masse toute sorte d’archives. Mais à Mauthausen, une aventure sans équivalent a permis que des centaines de négatifs originaux d’images nazies parviennent jusqu’à nous : des détenus espagnols, dans les rouages de l’administration du camp et au laboratoire photographique, les ont dérobés, camouflés, sortis du camp, confiés à une habitante du village, récupérés à la libération et, la plupart, rapportés en France – affirmant un double improbable espoir : après la victoire contre les nazis, que ces clichés soient un jour entre nos mains un témoignage !

Regards croisés : mémoire commune ?
Cette exposition, pour la première fois, présente l’ensemble des fonds d’images existants : clichés SS, photos prises, sur les mêmes appareils, par les détenus libérés (les Espagnols du labo photo), enfin celles prises par les libérateurs américains. Les Amicales française et espagnole d’anciens déportés de Mauthausen ont proposé aux autorités fédérales autrichiennes de s’associer au projet – ce qui était aussi offrir, soixante ans ayant passé, le retour en Autriche d’un butin de guerre… L’exposition existe ainsi en trois langues, et circule depuis 2005 en Europe, après avoir été solennellement inaugurée à Mauthausen puis, à Paris, par Monsieur le Ministre de la Culture.

LA PART VISIBLE DES CAMPS

Ces photographies ne sont justiciables d’aucun regard innocent.

L’image n’est pas la réalité objective
Impossible de se bercer de l’illusion paresseuse qui confère à l’image une valeur documentaire naturelle et absolue, pire : objective. Chacune de ces photos doit être précisément contextualisée – en particulier, aucune ne saurait être regardée sans souci de l’identité et de l’intention du photographe. Pour aller brièvement au plus important : il va de soi que l’œil du SS ne voit pas tout, que l’image qu’il fixe masque plus qu’elle ne montre, qu’elle est d’essence négationniste. Aussi eût-il été impossible et dangereux de se complaire dans l’affichage et l’impact de l’image brute.

Dire méthodiquement ce qui est montré
Ces quelque cinq cents photographies témoignent, certes, mais par le truchement d’un travail scientifique de deux années, conduit dans les trois pays partenaires, qui a construit un savoir incontestable et propose les éléments d’un message raisonné. Fragments d’histoire et de mémoires du camp, histoire et pouvoir de l’image, dans le rapport de celle-ci avec les mots de l’historien et ceux du rescapé-témoin : le parcours de l’exposition est un travail, et l’appareil textuel accompagnant les photographies ne saurait être éludé.