Disparition de Raphaël Esrail

Notre ami très cher, président de l’Union des déportés d’Auschwitz, est mort le 22 janvier 2022, à l’âge de 96 ans. Résistant déporté, il était l’un des derniers témoins de la Shoah. Vice-président du Comité international d’Auschwitz, il était commandeur de la Légion d’honneur.

« Acteur essentiel du recueil de la mémoire, de sa mise en valeur pédagogique et de sa transmission, il a inscrit la mémoire d’Auschwitz dans l’histoire. Son œuvre demeurera vivante » (communiqué de l’UDA). Il a témoigné en toutes circonstances une empathie bienveillante à l’égard de celles et ceux qu’il rencontra sur ce chemin, comme il fit preuve d’une fidélité indéfectible à ses compagnons dans la Résistance, à Montluc, Drancy, Auschwitz, dans les Kommandos de travail, dans les marches de la mort.

Né en Turquie en 1925, il arrive l’année suivante à Lyon avec ses parents, qui s’installent dans le quartier de la Croix-Rousse. Élève ingénieur à l’École centrale de Lyon, il mène une double vie, sous le nom de résistance de Raoul Paul Cabanel, né à Montauban. Il est actif aux Éclaireurs israélites de France, aide les juifs étrangers, se « spécialise » dans les faux papiers. Dénoncé, il est arrêté le 8 janvier 1944, interrogé par la Gestapo et les services de Barbie, identifié comme juif et interné à la prison Montluc devenue aujourd’hui un mémorial national. Expédié à Drancy, il y fait la connaissance de Liliane Badour, avec ses deux petits frères ; Ils sont dans le convoi n°67 du 3 février 1944 ; les enfants sont gazés à l’arrivée à Auschwitz, tandis que Liliane et Raphaël sont affectés à des Kommandos de travail. Raphaël reste onze mois au camp d’Auschwitz 1.

Survivant des marches de la mort, après l’évacuation d’Auschwitz vers Gross Rosen, puis Dachau, à pied ou en train, dans les « tombeaux roulants », il échoue à s’évader, mais il échappe à la pendaison, et envoyé au camp de Waldlager et finalement est sauvé lorsqu’il rencontre les troupes alliées le 25 avril.

De retour à Lyon, il reprend ses études, retrouve Liliane à Biarritz, survivante d’Auschwitz, qu’il épouse en 1948. Ils décident tous les deux de se taire. Raphaël entre à Gaz de France où il fait toute sa carrière.

Au début des années soixante-dix, avec l’émergence du négationnisme, il décide de s’engager à l’Amicale d’Auschwitz, dont il deviendra en 1996 le secrétaire général. En 2008, il est président de l’Union des déportés d’Auschwitz (UDA), qui va regrouper les différentes associations de la mémoire d’Auschwitz. Il est totalement engagé dans le recueil des témoignages des survivants de la Shoah, de leur transmission, avec le DVD Mémoires demain (2009) ; il tisse des liens essentiels avec les enseignants et l’Éducation nationale, organise des voyages à Auschwitz-Birkenau, qu’il conduit lui-même, plusieurs fois par an, avec des survivants.

Il s’était aussi engagé, au risque de ne pas être soutenu à la hauteur de ses espérances par tous les acteurs du monde de la déportation, à la création d’un site unique dédié aux deux déportations, de répression et d’extermination. Il se montre très accueillant à l’Union des associations de mémoire des camps nazis, encore informelle ces années-là : par la volonté appuyée de Raphaël, les amicales de camp ont pu apporter leur contribution et tissé des liens très forts avec lui. Le site Mémoires des déportations 1039-1945 est solennellement inauguré le 15 novembre 2017 à la mairie de Paris.

Raphaël Esrail, après avoir recueilli les récits de ses camarades survivants d’Auschwitz, a attendu 2017 pour publier son propre témoignage, L’espérance d’un baiser. Témoignage d’un des derniers survivants de la Shoah (Robert Laffont). « C’est à cette jeunesse désormais de reprendre le flambeau d’une mémoire dont elle est l’héritière, c’est en cette jeunesse éclairée que nous avons foi ». C’est un de ses derniers messages.

Raphaël Esrail a conclu le film Des traces et des gestes (Jean-Louis Roussel, Bernard Obermosser, 2018)

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